La sonothèque
La Sonothèque est un entretien transmédia avec des musicien·nes présent·es au festival Sons d’hiver. Ensemble, nous parlons de musique, de disques, de conditions d’enregistrement ou d’échappées sonores. Au travers d’un entretien, d’un questionnaire pop et d’une playlist, nous explorons comment le son influence leur travail, comment il s’impose à leur musique et comment il nourrit leurs trajectoires d’artistes.
La Sonothèque is a transmedia interview with musicians featured in the Sons d’hiver festival. We talk to them about music, records, recording conditions or sonic escapes. In an discussion, a questionnaire and a playlist, we explore together how sound influences their work, how it imposes itself on their music, and how it nourishes their careers.
Ann o’aro
concert sons d’hiver
lagon nwar
luke stewart
concert sons d’hiver
Aymeric Avice / Luke Stewart / Chad Taylor
thibault cellier
concert sons d’hiver
researching has no limits
entretien
œuvres jouées dans le podcast
Ann O’aro : Wa Sobaté
Longoz (Cobalt, 2020)
Danyèl Waro : Voulvoul
Aou Amwin (Cobalt, 2010)
Quatuor Machaut : Sanctus
(Ayler records, 2015)
Le Bruit du [sign] : A Paris les chattes sont lucky
Yebunna Seneserhat (Cobalt, 2010)
« Le Kréol, c’est aussi l’utilisation des sons. Le texte se mange et se déguste. C’est même pas « manger »… Chez nous, on dit souké. Dans la langue de Daniel Waro, c’est plus rapide, avec ce truc de malaxage, de découverte d’un corps, et de ce qui est interdit. Il y a « déguster » mais encore plus que ça, il y a presque de la bave…»
questionnaire
Un disque pour commencer la journée ?
La cérémonie du café Yebunna Seneserhat du Bruit du [sign] quand la journée démarre après 6h, la lumière déjà pleine mais encore un peu blanche du soleil qui ne perce pas derrière la butte de la maison, pour la voir transitionner, se muer dans les carreaux vitrés en tapis jaune sur le parquet, duquel va lever les poussières prises dans les rayons, c’est comme ça qu’il faut l’écouter, lorsque le son se mue en moulal suspendu, virevoltant dans le rédiyon. Avec l’odeur du café, le bruit de la bouilloire et le cliquetis métallique léger et souple de la poignée de la porte en bois vitrée qui s’ouvre et se referme sur la conclusion. Plus tôt, avant 5h, à l’heure où la couleur ose à peine se tenir délavée, puis pastel, que le vent parait figé en poussant ses petits nuages quadrillés blancs et moutonneux dans un ciel rose, c’est le cri de Ghédalia Tazartés dans Diasporas qui prend possession de l’air avec cette odeur de brûlé quand les voisins démarrent le cari feu de bois du dimanche.
Comment résumer en trois mots l’improvisation ?
Couleur, silence, rupture
Ecoutes-tu d’autres musiques quand tu composes ?
Non. Je compose souvent sur la route, en marchant, les yeux sur la mer anecdotique et inatteignable en fond, en me frayant des passages dans les sentiers, la peau raturée par les feuilles brulantes des cannes, le regard saturé de soleil, alors forcément je plisse les yeux et le tempo est toujours celui de mes pas.
Le dernier disque acheté ou écouté récemment ?
Bonbon flamme ! Un mélange parfait de la sérénité trépidante de la cérémonie du café et les cris de Diaspora mais sans paroles. Je crois que c’est le nouveau hit du matin, plus proche de 8h lorsque les quadrillages de soleil sont bien découpés sur le sol et qu’ils révèlent les imperfections du bois, les trous laissés par les chaises aux pattes pointues et tranchantes. Des superpositions de cercles. Je peux le mettre assez fort et l’écouter dehors, sur la terrasse dont les poutres encadrent des tableaux d’arbres ou de troncs sur fond de ravine. Avoir un vide chez soi est précieux. Un vide vert, un trou, de quoi se projeter dans la chute de notes qui hurlent et cascadent hors de vue.
Le tout premier disque vinyle acheté de ta vie ?
Je n’en ai encore acheté aucun. Je n’en possède que 7. Le premier est un cadeau de Lulu, punk péï : The Circle, Greedy Bastards. Le deuxième m’a été offert en tournée : Chapi chapo « robotank-Z . Le troisième, ça a été le mien : Ann O’aro, éponyme, avec ma tête en gros plan en noir et blanc. Puis j’en ai sauvé 4 des poubelles : Sonate en si mineur de Liszt / Stanley Kubrick « uhrwerk Orange »/ Front de libération des arbres fruitiers de Julios Beaucarne/ Mahler, Le Chant de la terre.
Sur quel système son écoutes-tu de la musique ?
Soit, sur mon poste radio semi vintage lecteur CD/vinyles dans la grande salle de vie, en libre espace pour bouger, peindre ou jouer par-dessus. Soit, au casque pour travailler sur des choses précises ou m’enfermer dans une bulle d’écoute plus introspective.
Dans quelle pièce ?
Dans la grande salle de vie. C’est une pièce tout en bois, du sol aux murs qui comprend la cuisine ouverte, la salle de musique, le salon avec nos meubles en bois recyclés, la zone atelier, la bibliothèque BD grands formats, nos valises vintage de matériels en tout genre, nos jeux de sociétés en bois fabriqués maison, des vitres partout qui inondent de soleil tout le pin clair. J’aime le balancement léger des larges feuilles de la calatéa qui trône sur la table basse, les fleurs de lunes, les dés en bois, le gramophone ancien qu’on mouline à la main, expirant son fox-trot énergique puis qui fausse et enfin tourne à vide en grumelant sa neige sonore jusqu’au fantôme du hamac pendu comme une balançoire entre les murs éventrés.
Écoutes-tu de la musique quand tu pratiques du sport ?
Non. Je me concentre sur ma respiration et mon attention est réquisitionnée toute entière sur l’étirement des muscles. Écouter de la musique est une activité en soi. Je ne l’écoute jamais de manière anecdotique. J’en écoute très peu et pas souvent, mais j’y entre pleinement. Ce n’est jamais un bruit de fond. C’est une expérience immersive, un voyage sensoriel qui requiert un espace privilégié.
Quels disques écoutes-tu en tournée ?
Ceux des musiciens que je croise sur la route mais en général, je n’en écoute pas beaucoup parce que les concerts s’enchainent et les échos de ce qu’on traverse se chevauchent, il ne fait jamais vraiment silence dans ma tête lorsque je suis en tournée. Sur la route, je dors beaucoup et j’écris parfois.
Ton disque refuge ? Celui qui soigne les moments de mélancolie ?
Une compile de la honte : Sentimental Over You, c’est un medley allant de Nat ‘king’ Cole à Louis Amstrong, Ella Fitzgerald… J’aime ce côté film ancien, vieilles voitures, joie nostalgique, romantisme désuet, robe-talons, rouge à lèvre et porte-cigarette, qui confère à l’ambiance de la soirée un petit côté croustillant. C’est parfait pour cuisiner à deux en esquissant des pas de danse.
Un endroit idéal dans le monde pour écouter de la musique ?
En soi. À l’intérieur de nous même. C’est là que ça résonne le mieux.
A record to start the day?
The Yebunna Seneserhat coffee ceremony of the sound of the [sign] when the day starts after 6 a.m., the light already full but still a little white from the sun that doesn’t pierce behind the mound of the house, to see it transition, turn into a yellow carpet on the parquet floor in the glass panes, from which the dust caught in the rays will rise, that’s how it should be listened to, when the sound turns into a suspended mill, twirling in the rédiyon. With the smell of coffee, the sound of the kettle and the light, supple metallic click of the wooden glass door handle as it opens and closes on conclusion. Earlier, before 5 a.m., at a time when color barely dares to stand, washed out and then pastel, when the wind seems frozen as it pushes its small, squared, white, musty clouds across a pink sky, it’s Ghédalia Tazartés’s cry in Diasporas that takes possession of the air, along with the smell of burning as the neighbors start the Sunday wood-fired curry.
How to sum up improvisation in three words?
Color, silence, rupture.
Do you listen to other music when you compose?
No. I often compose on the road, while walking, my eyes on the anecdotal and unreachable sea in the background, making my way along the paths, my skin striped by the burning leaves of the canes, my eyes saturated with sunlight, so of course I squint and the tempo is always that of my steps.
The last record you bought or listened to recently?
Bonbon flamme! A perfect blend of the hectic serenity of the coffee ceremony and the wordless screams of Diaspora. I think it’s the new morning hit, closer to 8 a.m. when the sun’s squares are well cut on the floor and reveal the imperfections of the wood, the holes left by the chairs with their sharp, pointed legs. Superimposed circles. I can turn it up loud enough and listen to it outside, on the terrace whose beams frame paintings of trees or trunks against a gully backdrop. Having an empty space at home is precious. A green void, a hole, enough to project yourself into the fall of notes that scream and cascade out of sight.
What was the first vinyl record you ever bought?
I haven’t bought any yet. I only own 7. The first was a gift from Lulu, a Pei punk: The Circle, Greedy Bastards. The second was given to me on tour: Chapi chapo “ robotank-Z . The third was mine: the eponymous Ann O’aro, with a close-up of my head in black and white. Then I rescued 4 from the garbage can: Liszt’s Sonata in B minor /Stanley Kubrick “uhrwerk Orange”/ Julios Beaucarne’s Front de libération des arbres fruitiers/Mahler, le chant de la terre.
On which sound system do you listen to music?
Either on my semi-vintage CD/vinyl player in the large living room, in free space to move, paint or play over it. Or, on headphones to work on specific things or to shut myself away in a more introspective listening bubble.
In which room?
In the large living room. It’s an all-wood, floor-to-wall room that includes the open-plan kitchen, the music room, the living room with our recycled wooden furniture, the workshop area, the large-format comic book library, our vintage suitcases of all kinds of materials, our homemade wooden board games, glass windows everywhere that flood the light pine with sunlight. I love the gentle swaying of the broad leaves of the calatea tree on the coffee table, the moonflowers, the wooden dice, the old-fashioned gramophone that we grind by hand, exhaling its energetic foxtrot, then falsifying and finally spinning empty, rumbling its sonorous snow all the way to the ghost of the hammock hanging like a swing between the gutted walls.
Do you listen to music when you work out?
No. I concentrate on my breathing and my attention is totally focused on stretching my muscles. Listening to music is an activity in itself. I never listen to it in an anecdotal way. I listen to it very little and not often, but I enter into it fully. It’s never background noise. It’s an immersive experience, a sensory journey that requires a privileged space.
What records/music do you listen to on tour?
I listen to the music of musicians I meet on the road, but I don’t usually listen to much of it because the concerts are one after the other and the echoes of what we’re going through overlap, so there’s never really any silence in my head when I’m on tour. On the road, I sleep a lot and sometimes write.
Your comfort record? The one that cures moments of melancholy?
A compilation of shame: “Sentimental Over You” is a medley ranging from Nat “King” Cole to Louis Armstrong, Ella Fitzgerald… I love the feel of old movies, old cars, nostalgic joy, old-fashioned romanticism, heels and dresses, lipstick and cigarette holders, all of which add a crispness to the evening’s atmosphere. It’s the perfect place for two to cook and dance.
An ideal place in the world to listen to music?
Inside ourselves. That’s where it resonates best.
playlist
deux lectures en kreol
entretien
œuvres jouées dans le podcast
Blacks’ Myths : Lower South
Blacks’ Myths (Atlantic Rythms, 2020)
Charles Mingus : Folk Forms n°1
Presents Charles Mingus (Candid, 1961)
Trio 000 : Fire In The Flint
Days To Be Told (New Atlantis Records, 2015)
Luke Stewart : Part. 1
Work for Upright Bass and Amplifier (Astral Spirit, 2018)
« Il suffit d’expérimenter le fait que le son est partout, c’est une force permanente. Les mots sonnent, les sentiments aussi, même les émotions ont un son. C’est important de comprendre cette vérité très simple : le son n’est qu’une affaire de vibration. »
questionnaire
Un disque parfait pour bien commencer la journée ?
En général, une chanson me trotte dans la tête quand je me réveille, alors je dois la jouer pour la faire sortir.
Comment résumer l’improvisation en trois mots ?
Free. Your. Mind.
(libère ton esprit)
Écoutes-tu d’autres musiques lorsque tu composes pour la tienne ?
Oui, toujours.
Quel est le dernier disque que vous avez acheté ou écouté récemment ?
Le disque Trio de Charles Mingus, Hampton Hawes, et Dannie Richmond.
Le tout premier disque vinyle que tu as acheté ?
Le W du Wu Tang Clan
Sur quel système audio écoutes-tu de la musique ?
Au casque, sur les enceintes de la maison et dans ma voiture.
Dans quelle pièce de la maison ?
Dans ma chambre.
Écoutes-tu de la musique lorsque tu pratiques le sport ?
Non.
Quels disques ou quelle musique écouter en tournée ?
En général, soit des études sur le jazz et la Black Music, soit de la musique locale.
Votre disque de réconfort ? Celui qui guérit les moments de mélancolie ?
Ask the Ages de Sonny Sharrock.
Un endroit idéal dans le monde pour écouter du son ou de la musique ?
N’importe où, partout.
A perfect record to start the day?
Usually, a song is playing in my head when I wake up, so I have to play it to get it out.
How would you sum up improvisation in three words?
Free. Your. Mind.
Do you listen to other music when you compose yours?
Yes, Always.
The last record you bought or listened to recently?
Trio with Charles Mingus, Hampton Hawes and Dannie Richmond.
The very first vinyl record you ever bought?
Wu Tang Clan – The W
On which sound system do you listen to music?
Headphones, Home speaker ans in my car.
In which room of your house?
My Room
Do you listen to music when you play sports?
No
What records/music do you listen to on tour?
Usually either regular Jazz/Black Music Studies, or local Music.
Your comfort record? The one that cures melancholy moments?
Sonny Sharrock, Ask the Ages.
An ideal place in the world to listen to sound or music?
Anywhere, Everywhere
playlist
Une lecture de Luke Stewart
sources
Reading the Conclusion section of the essay
The Myth of the Mediterranean Race
by Dana Reynolds-Marniche
from the book Egypt: Child of Africa
edited by Ivan Van Sertima, 1994
entretien
œuvres jouées dans le podcast
Joachim Kühn French Trio : Homogeneous Emotions
The Way (ACT, 2024)
Charles Mingus : Better Git It To Your Soul
Mingus Ah Uhm (Atlantic, 1959)
Novembre : Temps Compté (2016)
Tous Dehors : J’ai trois ans, Je dis non !
Les Sons de la vie (Abalone, 2016)
Claude Tchamitchian : In Childhood
In Spirit (Emouvance, 2018)
Joachim Kühn, Daniel Humair
et Jean-François Jenny-Clark : In The Morning
Triple entente (Decca, 1998)
« J’essaie de travailler un son, chaud et boisé. Je l’ai façonné lors de rencontres avec de grands improvisateurs comme Joachim Kühn, Laurent Dehors ou Claude Tchamitchian. »
questionnaire
Un disque parfait pour bien commencer la journée ?
Le chant des oiseaux.
Comment résumer l’improvisation en trois mots ?
Liberté, silence et partage.
Écoutes-tu d’autres musiques lorsque tu composes pour la tienne ?
Plutôt avant que pendant.
Quel est le dernier disque que vous avez acheté ou écouté récemment ?
Un vinyle de Kendrick Lamar, To Pimp A Butterfly.
Le tout premier disque vinyle que tu as acheté ?
Cumbia Jazz Fusion de Charles Mingus.
Sur quel système audio écoutes-tu de la musique ?
Un lecteur CD et plus récemment une platine vinyle. J’ai eu un Teppaz pendant des années qui à fini par rendre l’âme.
Dans quelle pièce de la maison ?
Principalement dans mon salon, et dans ma voiture qui a encore un lecteur CD !
Écoutes-tu de la musique lorsque tu pratiques le sport ?
Non.
Quels disques ou quelle musique écouter en tournée ?
Je voyage pas mal en voiture ou minibus, et, n’ayant pas de compte sur une quelconque plateformes, quand je conduis, je profite des playlists de mes camarades. Sinon, c’est lecture ou sieste.
Votre morceau de réconfort ? Celui qui guérit les moments de mélancolie ?
Charlie Haden & le Liberation Music Orchestra.
Un endroit idéal dans le monde pour écouter du son ou de la musique ?
Partout où l’on peut entendre de la musique live.
A perfect record to start the day?
The singing of Birds.
How do you sum up improvisation in three words?
Freedom / Silence / Sharing.
Do you listen to other music when you compose?
More before than during.
The last record you bought or listened to recently?
A Kendrick Lamar vinyl, To Pimp A Butterfly.
The very first vinyl record you ever bought?
Cumbia Jazz Fusion by Charles Mingus.
What sound system do you listen to music on?
A CD player and more recently a vinyl turntable. I had a Teppaz for years, which finally gave up the ghost.
In which room?
Mainly in my living room, and in my car, which still has a CD player!
Do you listen to music when you play sports?
No.
What records/music do you listen to on tour?
I travel quite a lot by car or minibus, and, as I don’t have an account on any platforms, when I’m driving I enjoy my mates’ playlists. Otherwise, it’s reading or napping.
Your comfort record? The one that cures melancholy moments?
Charlie Haden & Liberation Music Orchestra.
An ideal place in the world to listen to music?
Anywhere you can hear live music.
playlist
crédits sonothèque
entretien et réalisation :
Guillaume Malvoisin
photo Ann O’Aro :
© Emmanuel Naxos
photo Luke Stewart,
photo Thibault Cellier :
© Margaux Rodrigues
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production :
PointBreak pour le festival Sons d’hiver © 2024